Interview : L’IA, nouveau moteur de la formation en entreprise
Interview de Shayan Remtoulah, CEO de
l’agence Your-Comics. Your-Comics est un cabinet de design pédagogique qui
accompagne depuis plus de 12 ans les entreprises du SBF120 à rendre leurs
messages plus accessibles et impactants.
1. L’IA a bouleversé de nombreux secteurs.
Quels changements majeurs observez-vous dans l’univers de la formation
professionnelle ?
Le secteur de la formation est en pleine mutation.
L’IA est notre révolution industrielle : c’est le passage de l’artisanat à
l’échelle systémique. Aujourd’hui, on peut concevoir un parcours
d’apprentissage complet, générer des modules e-learning et des scénarios
interactifs à une vitesse folle. Tout s’accélère.
Pour nous, cela signifie qu'il faut repenser notre
modèle. On ne peut plus seulement vendre de la "production de
modules" ou de la simple "mise à disposition de contenus". Ces
tâches d'exécution sont de plus en plus automatisées. Notre vraie valeur
ajoutée se déplace vers le conseil stratégique et l'accompagnement
humain. L'IA est un outil fabuleux pour produire du contenu, mais elle ne
sait pas diagnostiquer les besoins profonds d'une organisation. Notre rôle est
de guider le client pour proposer une solution de montée en compétences qui
dépasse la simple consommation de vidéos.
2. Au-delà du gain de productivité, quels
bénéfices pédagogiques concrets observez-vous ? Comment se répartissent les
rôles entre l’humain et l’IA ?
L'IA est bien plus qu'une machine à gagner du temps,
c'est un levier d'hyper-personnalisation. Le vrai bénéfice, c'est
l'adaptation du contenu au profil de chaque apprenant. On peut désormais tester
des dizaines de modalités pédagogiques pour un même sujet en un clin d'œil.
Chez nous, la répartition est claire :
- L'humain
est l'architecte pédagogique : C'est lui qui
définit la stratégie, l'ancrage mémoriel et l'engagement émotionnel.
- L'IA
est l'assistant de production : Elle s'occupe de
synthétiser des documents techniques longs, de générer des quiz, des
scripts de base ou des structures de modules. Mais c'est toujours le
concepteur qui vient insuffler de la nuance, de la culture d'entreprise et
qui valide la pertinence du message.
3. Quels sont les principaux risques liés
à une utilisation généralisée de l’IA dans la formation ?
Il y a un risque réel d'uniformisation pédagogique.
Si tout le monde utilise les mêmes outils avec les mêmes instructions, on va se
retrouver avec des formations "clones", sans saveur et moins
engageantes. C'est la mort de l'attention de l'apprenant !
Ensuite, il y a la question cruciale de la fiabilité
des connaissances (les hallucinations de l'IA) et de la propriété
intellectuelle des données de l'entreprise. Enfin, nous devons rester
conscients de l'impact environnemental : l'entraînement et l'usage massif de
ces modèles ont un coût écologique qu'on ne peut plus ignorer dans nos
stratégies RSE.
4. Constatez-vous des réticences de la
part des directions RH ou Formation concernant l’IA ?
Oui, c'est un sujet fréquent. Beaucoup de nos clients
craignent de perdre le "lien humain" dans l'apprentissage. Ils ont
peur de proposer des parcours "robots", froids et désincarnés. Une
autre barrière majeure est la confidentialité des données : les
entreprises hésitent à injecter leurs savoir-faire stratégiques dans des IA
dont elles ne maîtrisent pas totalement les serveurs.
Notre rôle est d'être totalement transparents. Nous
expliquons que l'IA est un support de conception, pas un substitut au
formateur. Nous proposons souvent deux approches : une assistée par IA pour la
rapidité et le volume, et une approche artisanale pour les sujets hautement
stratégiques. Le client garde toujours le contrôle.
5. Comment préserver une "signature
pédagogique" propre à votre organisme face à l’IA ?
Pour éviter le contenu générique, nous avons pris une
décision ferme : l'ingénierie de haut niveau reste humaine. Ce sont nos
experts qui conçoivent le "fil rouge" et l'expérience apprenant sur
mesure. On voit trop de formations sur le marché qui se contentent de
copier-coller des réponses de ChatGPT.
Pour nous, la technologie vient seulement enrichir des
éléments spécifiques : créer un cas pratique complexe, simuler un chatbot
d'entraînement ou générer une voix off de qualité. Mais l'âme de la formation
passe par notre méthodologie propriétaire et notre compréhension du terrain.
6. Sur quels leviers miser pour continuer
à se différencier ?
La clé, c'est l'expertise métier et l'empathie.
L'IA ne peut pas reproduire la capacité à capter les signaux faibles d'une
équipe en difficulté ou l'humour qui va débloquer une situation
d'apprentissage. Notre force réside dans la pédagogie active et le "social
learning". On mise aussi sur la pédagogie : apprendre à nos clients à
devenir eux-mêmes des "utilisateurs augmentés" de ces outils.
7. À l’horizon 2030, comment imaginez-vous
l’évolution des métiers de la formation ?
Je suis très optimiste. Les formateurs ne vont pas
disparaître, ils vont être magnifiés. Le responsable formation de 2030 sera un ingénieur
d'expérience d'apprentissage hybride. Il devra maîtriser les sciences
cognitives, la narration, et savoir dialoguer avec les machines pour créer des
simulateurs ultra-réalistes.
La formation initiale des talents L&D doit être repensée. Les écoles doivent intégrer l'IA non comme un outil de triche, mais comme une nouvelle compétence d'ingénierie. Le projet de formation sera plus court, plus itératif, mais l'intelligence humaine restera le pivot pour donner du sens à l'apprentissage.
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